• Entretien avec Nicolas Hulot sur la taxe carbone

     

    «Ils n’ont pas du tout pris la mesure du problème»

    Pour Nicolas Hulot, la querelle politique sur la
    taxe carbone masque les enjeux. Il livre son mode d’emploi d’une fiscalité écologique et sociale.
    Comme prévu, la
    taxe carbone et le cafouillage gouvernemental sur le dossier ont largement occupé le campus d’été de l’UMP, qui se déroulait ce week-end à Seignosse (Landes). Cafouillage ? Pas du tout, selon le conseiller élyséen Henri Guaino : «Il n’y a pas de cafouillage, il y a des discussions.» Mais rien d’anormal, officiellement, dans le désaveu infligé au Premier ministre sur les arbitrages (Libération de samedi). Les modalités de la taxe, les vraies, devraient être connues jeudi, selon Christine Lagarde. Sauf si les «discussions» s’éternisent…
    Agacé par la tournure très politicienne prise par le débat, Nicolas Hulot, qui avec sa Fondation a porté et médiatisé la Contribution climat énergie (CCE) depuis le Grenelle, lance dans Libération un appel à la raison.

    A entendre ses adversaires, Royal en tête, la taxe carbone c’est 7 centimes de plus à la pompe et c’est inefficace…

    C’est une présentation étriquée et simpliste des choses. Aucun expert objectif ne doute de l’efficacité du signal prix pour agir sur les comportements. Si on veut créer de la vertu collective, pousser l’industrie à proposer des biens et des services plus sobres, il faut que chacun ait à l’esprit que le prix ne baissera plus jamais. Cela dit, le contexte de la rentrée politique a sans doute pesé, notamment à gauche… Certains ont trouvé un point d’accroche, mais ce n’est pas un sujet sur lequel il faut polémiquer. C’est trop grave, ne faisons pas de démagogie. C’est contraire à l’esprit du Pacte écologique que tous avaient signé.

    Pourquoi faut-il une taxe carbone ?

    Donner un prix au carbone fait consensus chez tous les économistes qui se sont penchés sur le sujet. D’abord, pour lutter contre le réchauffement. On s’est engagé à Kyoto à diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Ça ne se fera pas avec des petites corrections. Plus on ajourne la transition, plus ce sera lourd, voire insupportable, surtout pour les plus démunis.

    Il s’agit aussi, selon vous, de se préparer à l’après-pétrole…


    On va vers la fin des énergies fossiles, notamment du pétrole. L’idée qu’on ait le choix entre faire ou ne rien faire est fausse. Soit on organise cette mutation, soit on la subit. Les choses vont changer de gré ou de force. Si c’est de force, les prix vont augmenter brutalement… et ce sont les précaires qui vont subir. Planifier la hausse, c’est amortir les crises. C’est bien une préoccupation sociale.

    Ne faut-il pas d’abord se concentrer sur l’industrie ?

    Le marché des quotas existe déjà : il touche les émissions industrielles concentrées. Il faudra le durcir, l’améliorer, mais on ne peut pas dire que l’industrie lourde est épargnée. Cela ne représente de toute façon qu’un tiers des émissions françaises.

    Cette taxe serait socialement injuste…

    Ce qui est injuste et dangereux, c’est de critiquer sans rien proposer de structurant et de livrer ceux qui sont en situation de précarité aux effets d’une crise majeure sans anticiper. Pour être efficace, la contribution climat énergie doit s’appliquer à tous. Et le produit peut permettre d’accompagner les gens en difficulté. Pour ceux qui travaillent la nuit, qui n’ont pas accès aux transports en commun, il faut des dispositifs d’accompagnement. Et puis, le débat sur le changement climatique ne s’arrête pas à la CCE. Ce doit être une pièce centrale d’un dispositif : normes, bonus, malus, crédit d’impôt, subventions… C’est aussi à cela que doit servir le grand emprunt : il faut une «écoconditionnalité» intransigeante des investissements.

    Et la redistribution ?

    L’esprit, c’est à terme de basculer la fiscalité du travail sur la fiscalité énergétique et environnementale. Avec la Fondation, nous avions proposé l’allocation universelle, la même somme reversée pour tout le monde (à l’exception des revenus élevés). Dans la majorité des cas, selon nos modèles, ceux qui ont les revenus les plus faibles allaient recevoir plus que ce qu’ils payaient. Et il fallait ajuster pour les cas particuliers. Il y a d’autres pistes, réduire les charges sociales ou l’impôt sur le revenu… C’est aux politiques de trancher. Encore faut-il que le débat se fasse dans la raison et non dans la passion politicienne.

    Vous en appelez à plus de sérénité ?

    Il serait productif qu’on acte le principe de la contribution climat énergie dans la loi de finances 2010 et sa progressivité. Mais peut-être serait-il sage que l’on se donne deux mois supplémentaires pour organiser un débat constructif entre la gauche et la droite sur l’affectation des ressources, l’équité de la taxe. Et l’on fera un projet de loi de finances rectificatif. Le chantier est ouvert. Il mérite de mutualiser les intelligences et l’imagination de tous bords, c’est le rôle des politiques. Mais fustiger la CCE dans son principe, après l’avoir soutenue, ce n’est pas très responsable.

    Comment faire pour que la population n’y voie pas qu’une taxe de plus ?

    C’est une préoccupation légitime, mais si on ne trouve pas une solution, les conséquences sociales seront bien plus importantes. Ne rien faire, c’est une lecture à très court terme. Le baril ne va pas rester au niveau d’aujourd’hui. Quand j’entends dire qu’il suffit de faire des voitures électriques pour tenir nos engagements sur le climat, je me dis que certains n’ont pas du tout pris la mesure du problème. Ce sont des arguments de magiciens, pas d’écologistes, encore moins d’économistes.

    La France peut-elle agir seule ?

    Elle a intérêt à le faire : ça va nous permettre de prendre de l’avance. Et de nous préparer à la pénurie. D’autant qu’on peut en attendre une autre vertu : si on baisse notre dépendance énergétique, on améliore notre balance commerciale et on crée de l’emploi, car les services qui aident à baisser cette consommation sont chez nous, non délocalisables. D’ailleurs, nous ne sommes pas seuls. La Suède a déjà une taxe carbone à 100 euros par tonne de CO2.

    Le gouvernement n’a-t-il pas une responsabilité dans la confusion actuelle ?


    On ne peut imaginer qu’une réforme puisse se faire sans remous. Il y a eu des erreurs de communication. On a laissé planer le doute sur le fait que cette taxe pouvait compenser la taxe professionnelle ou combler le déficit. Dans l’esprit des gens, c’est devenu : on va prendre l’argent des particuliers pour payer à la place des sociétés. Cela a créé un rejet compréhensible.

    François Fillon a évoqué 14 euros la tonne de CO2. C’est suffisant ?

    Le plus important c’est de démarrer. Mais si on considère que le but c’est de changer les comportements et que le signal prix est un bon levier alors il faut un niveau de départ plus élevé, à 20 euros au moins. Mais s’il n’y a pas de progressivité, ça ne sert à rien. Il faut s’engager pour 50 à 55 euros en 2020, 100 en 2030. Et on n’échappera pas à réguler aussi l’électricité. C’est bien la contribution «climat énergie». Quand on dit que l’électricité n’émet pas de CO2, c’est faux : dans les périodes de pointe, on va la chercher dans les énergies fossiles. Tout le monde est d’accord pour dire que c’est toute la consommation énergétique qu’il faut baisser.

    La mutation écologique est-elle incompatible avec le libéralisme ?


    C’est incompatible parce que le libéralisme, c’est l’absence de limites. Ce qui pose problème dans nos sociétés, ce sont nos excès. La planète nous fixe des limites. Comment prospérer sans croître, c’est l’équation du «développement durable», même si c’est un mot que je n’aime plus trop, parce qu’il est utilisé à toutes les sauces, une camomille mielleuse pour nous faire ingérer tous nos excès. Notre économie repose sur l’exploitation des ressources naturelles et des matières premières, et si on arrive à épuisement sur la plupart des stocks, je ne vois pas comment les systèmes sociaux et économiques vont perdurer et comment nos démocraties vont résister. C’est une perspective envisageable. Sur le pétrole, on n’a pas de plan B.

    Le carton d’Europe Ecologie aux européennes vous a surpris ?

    Ce succès est très significatif. Ça montre que, dans notre pays, le travail de fond progresse. Et quand, pour une fois, des écologistes ne s’étripent pas, mais font campagne sur l’Europe et l’écologie, ça fonctionne. Ce n’était pas sain que l’écologie politique soit si disproportionnellement faible, si petite par rapport à l’aspiration de nos concitoyens. Ça oblige les politiques à recentrer le jeu sur le sujet, notamment le PS, qui était aux abonnés absents.

    Une candidature Hulot en 2012 ?


    Sans langue de bois, mon horizon se limite à la conférence climatique de Copenhague, en décembre. Toute mon énergie est là, en tant qu’ONG ; 2012, c’est le grand futur, il va se passer tant de choses d’ici là que, au moment où on se parle, mon rôle me semble plus important là ou je suis. Je pense que ce sera le cas pour longtemps.

    Pourquoi l’écologie est souvent vue comme une préoccupation de bobos ?

    Ceux qui disent ça jouent avec le feu. Cela fait vingt ans que j’entends que l’écologie, c’est un truc de riches. Mais c’est un devoir de riches. Au Nord comme au Sud, ce sont toujours les mêmes qui vont trinquer. Et pas dans cent cinquante ans. On est face à des menaces de crises majeures.

    Vous devenez gauchiste ?


    Au risque de vous choquer, je ne sais pas où je me situe. Je ne sais pas s’il y a un protocole de gauche ou de droite. Les contraintes sont telles que le réalisme prime sur l’idéologie. Dans le contexte de gravité et de complexité actuelle, ce clivage-là n’est plus opérant.

    Votre fondation est financée par des multinationales, ça ne vous gêne pas ?


    Ça fait des années que j’assume : pour agir, il faut des moyens. Plutôt que d’aller les chercher seulement auprès des particuliers, je souhaite aussi me tourner vers les entreprises, pour nouer un dialogue. A la condition expresse que mon indépendance de parole ne soit jamais prise en défaut. On est dans une forme de guerre. Je me refuse à me tenir à l’écart dans une attitude de puriste. Ne diabolisons pas les entreprises.

    Pourquoi avez-vous appelé votre prochain film (sur le réchauffement), le Syndrome du Titanic

    Depuis trois ans, la crise écologique a rencontré la crise énergétique, économique et démocratique. Ce titre a un sens : on voit l’obstacle, on est incapables de changer de cap ; on prend l’eau, l’orchestre continue à jouer, les gens en cabine de luxe pensent qu’ils vont mieux s’en sortir que ceux qui sont en fond de cale et on garde toute confiance dans l’invulnérabilité de notre paquebot ! Il faut une révolution culturelle autant qu’économique. L’archaïsme c’est l’inertie, le modernisme c’est la mutation écologique.

    Libération, entretien avec Nicolas Hulot, réalisé par MATTHIEU ECOIFFIER, GUILLAUME LAUNAY, 07/09/09


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