• 05- L'astronomie Arabe

    Il faut bien commencer par prendre conscience qu’au moment où les « astronomes » islamiques apparurent véritablement sur scène, disons à partir du IXème siècle, l’Astronomie venait de connaître SEPT siècles de silence et de stagnation totale.

    Toute recherche en ce domaine s’était pratiquement arrêtée à la mort du grand, de l’incontournable, de l’incontestable Ptolémée. Ptolémée était lui même le dépositaire de tout le savoir astronomique grec. Savoir qu’il avait rassemblé dans un monumental ouvrage en treize livres : « L’Almageste ou la Grande Composition Mathématique ». Cet ouvrage ambitionnait de rendre compte de tous les mouvements de tous les corps célestes. Malheureusement, il reposait sur deux postulats complètement faux dont l’un « vieux comme le monde » :

     1/ La terre est immobile au centre du monde et tous les autres corps célestes tournent autour d’elle. 
     2/ Tous ces corps décrivent des trajectoire circulaires, car le cercle est la seule forme parfaite et idéale pouvant rendre compte de l’harmonie du ciel… et du retour périodique et régulier des « astres ».

     Malheureusement, les Planètes mettaient une évidente mauvaise volonté à se conformer à cette géométrie simplissime et harmonieuse. D’où la nécessité d’expliquer leurs mouvements erratiques par des déplacements complexes tout au long de trajets sur des cercles « secondaires » se déplaçant eux-mêmes sur des cercles « principaux ». Et comme cela ne suffisait toujours pas, il fallait en arriver à des systèmes invraisemblables de cercles tournant les uns « sur » et « dans » les autres, à tel point que la complexité en devenait vite totalement ingérable. 
    Mais il restait hors de question de toucher aux deux fameux postulats de base. Et pourtant plusieurs savants grecs, bien avant Ptolémée, avait déjà émis l’idée de la possibilité d’un système « héliocentrique » (Soleil au centre du Monde et planètes tournant autour).  

    Au début, et donc pour la période qui nous intéresse, les astronomes arabes allaient plaquer tous leurs travaux sur le système de Ptolémée. Pourtant, grâce à leurs nouvelles observations nettement plus précises, ils prirent bien vite conscience que le système ptoléméen ne convenait absolument pas pour expliquer la réalité du ciel. Après avoir accumulé et compilé de multiples tables d’observations, après avoir réalisé de nombreux commentaires de l’œuvre du Maître, ils en arrivèrent à la critiquer ouvertement, pour finir par la rejeter. 
    Mais… sans pour autant abandonner la base même du système, à savoir le « géocentrisme » (Terre au centre du Monde) qui ne pouvait conduire qu’à des absurdités. 
    Mais reprenons les choses au début.  

    Pour des raisons très pratiques, les Arabes s’étaient intéressés aux étoiles depuis l’époque où ils nomadisaient dans les déserts. Elles constituaient les « phares » qui guidaient leurs caravanes à travers les étendues désertiques dépourvues de tout repère. A l’instar de maints peuples primitifs, ils avaient donné des noms aux corps célestes et aux groupements d’étoiles (constellations). Certains des noms dont ils les baptisèrent alors sont encore en usage aujourd’hui, notamment « Algol », « Bételgeuse » et « Véga ». Mais c’est seulement au début du VIIIe siècle que les musulmans acquirent une connaissance scientifique du ciel. Leur intérêt devait s’éveiller à la lecture de la traduction que fit faire le calife Haroun al-Rachid du grand ouvrage de l’astronome grec Ptolémée, « l’Almageste ».  

    La « révolution astronomique » se produisit avec l’arrivée au pouvoir du Calife al-Mamun qui régna à Bagdad de 813 à 833. Ami des Arts et des Sciences, il permit à de nombreux artistes et savants de travailler à sa cour dans d’excellentes conditions. L’Astronomie profita de cet élan exceptionnel. 

    Al-Mamun fit construire à Bagdad la « Maison de la Sagesse », un concentré de tout ce que l’Empire comportait de têtes pensantes, en quelque sorte l’équivalent de la Bibliothèque d’Alexandrie et de son Musée. A cette époque se pratiqua une véritable chasse aux textes « anciens », ceux écrits par les Grecs bien évidemment. Ces ouvrages étaient immédiatement traduits par des experts linguistes possédant un évident bagage scientifique. En effet, il ne suffisait pas de traduire mot à mot, encore fallait-il comprendre ce que l’on traduisait pour éviter erreurs et contre-sens. Beaucoup de ces traducteurs étaient d’origine chrétienne ou juive car ils étaient, à l’époque, pratiquement les seuls à maîtriser à la fois le grec, le latin et l’arabe. Mais les prospections ne se limitèrent pas à ces seules sources. Les astronomes arabes tournèrent aussi les yeux vers les connaissances des Perses et des Indiens. 

     

     

     

     

    Très vite, ils se retrouvèrent à la tête d’un matériel d’une incroyable richesse, mais qui hélas se révélait souvent moins que satisfaisant car de nombreuses tables astronomiques ne correspondaient pas (ou plus) avec ce qu’ils pouvaient observer chaque jour et surtout chaque nuit. 

    L’instrument d’observation le plus répandu et le plus important pour les astronomes musulmans fut incontestablement l’astrolabe, qu’ils empruntèrent aux Grecs. Connu d’eux sous le nom de « joyau mathématique », il consistait essentiellement en un disque plat, généralement en cuivre, et de dimensions variables, depuis les modèles portatifs, dont certains mesuraient cinq centimètres de diamètre, jusqu’aux grands modèles fixes. 
     

    Quelle que fut sa taille, la circonférence était divisée en degrés. Fixée sur un pivot central une aiguille, appelée alidade, pouvait tourner. L’astrolabe était suspendu à un petit anneau assujetti à son sommet, et l’aiguille était pointée vers une étoile par exemple. L’aiguille formait alors un angle avec l’horizontale de l’astrolabe et, en mesurant l’écart angulaire ainsi obtenu, on pouvait déterminer la hauteur de l’étoile au-dessus de l’horizon. Les astrolabes étaient également utilisés pour calculer la position des étoiles et déterminer les mouvements des planètes, ainsi que pour connaître l’heure. Comme tant d’autres inventions grecques, l’astrolabe fut introduit en Europe par les musulmans, mais il devait par la suite être abandonné à cause de son manque de précision et remplacé par le quadrant et le sextant. 
    Mais subsistait la nécessité de pouvoir effectuer de nouvelles observations dont la précision devrait être maximum. 

    Voilà pourquoi on n’hésita pas à construire de « gigantesques » observatoires. Gigantesques, car à cette époque où n’existaient encore ni lunettes astronomiques, ni télescopes, la seule façon d’augmenter la précision de la mesure consistait tout simplement à augmenter le dispositif de la lecture et donc la taille de l’instrument. On vit alors fleurir des astrolabes, quadrants, sextants et autres octants dont les tailles pouvaient atteindre plusieurs mètres de rayon. Tous ces dispositifs ont aujourd’hui disparu mais il est encore possible de se faire une assez bonne idée de ce qu’ils pouvaient être en visitant ce qui reste des observatoires construits par les Moghols dans le nord de l’Inde, comme à Delhi ou mieux encore le « Jantar Mantar » à Jaipur. 
     

     

     

     

     

     
     Cette Astronomie avait d’abord et surtout des visées « pratiques ». 

    D’une part, elle servait surtout à établir des horoscopes, tous plus flatteurs les uns que les autres, pour les « grands » de l’Empire… le Calife en particulier. C’est pour cette raison qu’à cette époque, il est impossible de différencier les astroloGUES et les astroNOMES. 
     
     

     

     

     D’autre part, elle devait apporter des réponses simples et directes à des besoins quasi quotidiens. 
    Dans le contexte religieux de l’Empire, il importait avant tout de fixer avec rigueur et exactitude trois données essentielles à la vie du Musulman :

    1/ Déterminer au long de la journée les heures des cinq prières quotidiennes. 
    2/ Déterminer dans le cadre d’une année LUNAIRE (et non solaire) l’apparition du premier croissant de Lune fixant le début du mois (lunaire) de Ramadan. 
    3/ Déterminer géographiquement la position de La Mecque afin que les fidèles puissent se tourner dans la bonne direction pour effectuer leurs prières.

     Or tout cela était loin d’être évident pour des tas de raisons. 
    - Comment établir les heures de prières alors que la durée du « jour » varie avec les saisons ? 
    - Comment être sûr de l’apparition du croissant lunaire quand la Lune n’est pas visible parce qu’elle se situe de l’autre côté de la Terre ? 
    - Comment trouver la direction de La Mecque quand on est juste capable de repérer une latitude mais bien incapable de déterminer une longitude ? Pour la longitude, précisons qu’avant l’apparition des horloges précises et fiables, la seule méthode résidait dans l’observation des (débuts et/ou fins) d’éclipses de Lune. 

    Les astronomes arabes s’attachèrent à la tâche avec zèle et efficacité car ils obtinrent des résultats très honorables en fonction de leurs moyens et en fait très largement suffisants pour les besoins quotidiens. 

     

     

     
    Mais les choses ne se passèrent pas toujours très bien. Ces pierres que l'on voit sur la photo devant la Kutubia de Marrakech correspondent au soubassement d'une première mosquée qu'il fallut détruire quand on se rendit compte ( suite à des calculs plus précis ) qu'elle n'était pas correctement orientée en direction de La Mecque.  

    Notons que ces connaissances eurent d’autres applications, en particulier pour la navigation en mer et pour les déplacements des caravanes dans des étendues dépourvues de tous points de repère autres que les objets célestes.  
    Mais honnêtement, reconnaissons aussi que pratiquement toutes les recherches astronomiques à l’époque se limitèrent presque exclusivement à l’établissement et à la compilation de tables astronomiques. 
    Mais au delà de ce côté purement pratique, quelques astronomes arabes allaient se lancer dans des spéculations beaucoup plus théoriques. 

    Ils recalculèrent la durée de l’année solaire et obtinrent des résultats bien meilleurs que ceux de Ptolémée. Même chose pour ce qui concernait l’inclinaison de l’écliptique. Mais dans ce cas précis, ils connurent quelques doutes car non seulement leurs résultats différaient de ceux de Ptolémée, mais ils n’étaient ni conformes aux résultats des Indiens pourtant reconnus comme astronomes réputés, ni même avec ceux des astronomes arabes des décennies (siècles) précédents. Bien sûr, à cette époque là, il était impossible de découvrir que l’inclinaison de l’écliptique est variable (et qu’elle était décroissante).

     

    Comme bien des érudits avant eux, plusieurs scientifiques musulmans savaient que la terre était sphérique. En calculant la longueur d’un degré terrestre, ils réussirent à mesurer avec une approximation remarquable la circonférence ainsi que le diamètre du globe. Quelques uns, très en avance sur leur temps émirent même l’hypothèse de la rotation de la terre autour de son axe, mais d’autres, plus traditionnels, repoussèrent cette théorie.

     

    Inévitablement, les astronomes eurent besoin d’un « outil mathématique » fiable et efficace, ce qui les amena à développer la Trigonométrie puis à en faire une discipline à part entière. Le système de calcul utilisé par Ptolémée, système basé sur les « cordes », fut vite remplacé par les notions de « sinus », « cosinus » hérités des Indiens puis par celles de « Tangente » et même « Cotangente ». Puis on développa la Trigonométrie Sphérique, bien plus conforme à l’apparence du ciel.

     

    Si donc les premiers astronomes s’en tenaient aux « vérités ptoléméennes », les suivants, armés de leurs outils trigonométriques, tels al-Battani (850 – 929) ou al-Biruni (973 – 1048), se mirent systématiquement à confronter les observations « sur le terrain » aux données et prédictions théoriques telles que permettait de les établir le système géocentrique de Ptolémée. Cela collait si mal qu’ibn al-Haytam (965 – 1040) n’hésita pas à mettre en évidence toutes les incohérences et absurdités du système du vieux maître grec. Il travailla surtout sur les variations de diamètres apparents du Soleil et de la Lune, ce qui le conduisit à prédire et expliquer les éclipses annulaires de Soleil. Notons au passage que son étude des diamètres apparents de la Lune et du Soleil le conduisit à aborder les phénomènes de réfraction atmosphérique rendus flagrants au moment du lever et du coucher de ces deux « astres » dont les diamètres perçus peuvent augmenter considérablement. 

    Il s’interrogea aussi sur la vitesse irrégulière de déplacement de certains corps célestes. 
    Malheureusement, malgré toute sa science, ibn al-Haytam ne fut pas en mesure de proposer une meilleure « explication » du ciel que celle de Ptolémée. 
    A l’époque où nous interrompons notre propos, c’est à dire autour de l’AN MIL, les astronomes arabes pouvaient juste améliorer la précision de leurs mesures mais pour le reste, nous pouvons dire que l’Astronomie arabe se trouvait bel et bien complètement bloquée dans une impasse ! 


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